


Il y a dans l’église de Vieux-Pont-en-Auge deux petites fresques identiques, peintes en couleurs à même le mur dans le coin nord-ouest de la nef, au-dessus du confessionnal.
Sur fond noir, on voit le blason d’un seigneur sur un écu encadré par deux grandes licornes et surmonté d’une couronne. Le temps a fait son œuvre et certaines parties ont été abîmées.
Cependant, les deux dessins permettent d’avoir une idée précise de la composition initiale. Pendant très longtemps, j’ai ignoré ce que signifiaient ces peintures jusqu’à ce que je m’y intéresse. Tout cela m’a amené à étudier l’histoire de mon village. J’ignorais alors que cette quête m’amènerait aussi à Lourdes !
J’ai d’abord appris que, lorsque le seigneur du lieu mourait, on peignait un bandeau noir tout autour de l’église sur lequel on ajoutait les armes dudit seigneur. Ce type de représentation s’appelle une « litre funéraire ». Elle marque de façon ostentatoire qui est le « patron » du lieu. Au début, je me suis dit naïvement qu’il s’agissait des armes des seigneurs de Vieux-Pont. Mais non, celles-ci sont constituées de 10 anneaux répartis sur l’écu.
En parcourant d’anciens numéros du Bulletin du Billot consacrés à Vieux-Pont, j’ai découvert que les armes peintes dans l’église de Vieux-Pont étaient celles des Dunot, famille noble installée dans la région de Saint-Pierre- sur-Dives au XVIe siècle. Peut-être avez-vous remarqué le Manoir Dunot, siège historique de la famille, situé à l’entrée de Saint-Pierre, juste à côté du supermarché, sur l’ancienne commune d’Harmonville.
Quelques recherches m’ont ensuite aidé à retrouver, en langage héraldique, la description de ce blason : « d’azur au chevron d’argent accompagné de 3 canettes en pointe, fasce d’argent, au chef chargé de 3 roses d’argent ». J’ai aussi appris que la couronne qui coiffe le blason est celle d’un baron. Figurez-vous que celle d’un marquis est différente !
Notre litre funéraire est donc celle d’un Dunot, baron de Vieux- Pont sous l’ancien régime, avant la Révolution française de 1789. Chacun comprendra que cette coutume féodale cessa après la Révolution et qu’on arrêta alors de glorifier ainsi les seigneurs du lieu.
Reste à trouver auquel des Dunot la litre peut être attribuée.
En fouillant sur Internet, j’ai compris que beaucoup d’informations sur la famille Dunot provenaient d’un livre écrit en 1776 par Jean-Alexandre Dunot de Saint-Maclou. Je l’ai trouvé sur un site de vente de livres anciens et, la passion n’a pas de prix, je l’ai acquis. Le titre est évocateur : « Mémoire pour la famille Dunot, où l’on voit les preuves de noblesse, ses services et ses alliances par Messire Jean-Alexandre Dunot-de-Saint-Maclou, Baron de Vieux-Pont, Seigneur de Castillon & de Houlbec, Chevalier de Saint-Louis ».
Effectivement ce Jean-Alexandre (nous l’appellerons ainsi par facilité), y fait état, en détail, de l’histoire de sa famille et des états de service rendus par chacun de ses ancêtres et de leurs descendants au roi et à ses princes.
Il explique que c’est à la suite d’une querelle, en 1773, entre les moines de Saint-Pierre-sur-Dives et un cousin à lui, Mr Dunot de Berville, qu’il décide de publier ce livre d’une bonne centaine de pages. Les moines considéraient que la famille Dunot n’était point noble, remettant ainsi en cause ses droits. Un procès s’en suivit, perdu par les moines.
Le livre dresse la généalogie complète de la famille. Plutôt bien conservé et facile à lire, c’est une mine pour qui s’intéresse à l’histoire de Saint-Pierre et des alentours. Jean-Alexandre se présente comme « Baron de Vieux-Pont, Seigneur de Castillon et Houlbec, Chevalier de Saint-Louis ». Il se pourrait que ce soit à lui qu’est dédiée la litre funéraire de l’église de Vieux-Pont.
On apprend aussi que notre Jean-Alexandre a eu une carrière militaire comme la plupart des membres masculins de sa famille dont beaucoup ont péri sur les champs de bataille sous les règnes de Louis XIV, XV et XVI. Son père Gabriel-Jacques s’était lui-même déjà rendu propriétaire de la baronnie de Vieux-Pont en 1743 mais, décédé trois ans plus tard, la vente fut cassée.
On peut supposer que l’achat de la propriété et du titre de baron tenait particulièrement à cœur à son fils. On sent à la lecture du livre que son extraction noble est un élément essentiel de la vie de Jean-Alexandre.
Peut-être raconterons-nous, dans un prochain Bulletin, l’histoire des Dunot qui a marqué celle de Saint-Pierre-sur-Dives et de sa région. En particulier celle de Gabriel-Jacques, le père de Jean-Alexandre, qui fut gouverneur de Marie-Galante du temps des flibustiers.
Pour savoir si la litre funéraire de l’église de Vieux-Pont est liée à la mort de Jean-Alexandre, il nous faut vérifier qu’il est bien décédé avant 1789 et qu’un autre Dunot, ayant pris le titre de baron du lieu, n’est pas lui-même mort avant 1789.
Il est en fait décédé le 13 novembre 1780 à Paris où il demeurait ainsi que cela est indiqué dans l’inventaire de ses biens réalisé par acte notarié au début de 1781 (Archives Nationales). C’est une amie historienne qui a trouvé ce document aux archives nationales. Nous l’avons transcrit avec Pierre Ferrand ce qui nous a pris un certain temps compte tenu de la graphie et du contenu de plus de 30 pages rédigé par les notaires qui font un état détaillé des possessions et dettes de ce Dunot.
Outre le fait qu’on apprend que le sieur en question avait plusieurs dizaines de chemises et autres effets, l’acte nous indique qu’il habitait un appartement qu’il louait au 3e étage d’une maison située Quai des Miramionnes (ou Maramionnes), c’est-à-dire sur les bords de Seine, à côté de l’hôtel de Nesmond, sur l’actuel Quai de la Tournelle.

C’est donc là qu’a lieu l’inventaire en question. Il est bien confirmé que Jean-Alexandre Dunot de Saint-Maclou, baron de Vieux- Pont, est chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien capitaine au régiment de Beauvaisis. Il est chevalier seigneur et patron honoraire de Castillon, Houlbec, Fouque-le-Loup, Grandval et autres lieux. J’ignore où se trouve Fouque-le-Loup mais par contre, Houlbec et Grandval sont situés sur la commune de Vieux-Pont-en-Auge, du côté de Castillon-en-Auge, Coupesarte et Saint-Julien-le-Faucon.
Le ruisseau d’Houlbec qui donne son nom à cette partie de Vieux-Pont-en-Auge, prend sa source à Castillon-en-Auge où il se nomme « ruisseau de la Garenne ». Il rejoint la Viette un peu plus loin, à la limite de la commune des Authieux-Papion. C’est un petit cours d’eau qui ne coule presque plus l’été mais qui peut déborder lors de fortes pluies.
Une grande partie du nord de Vieux-Pont-en-Auge est dénommée Houlbec sur l’ancien cadastre de 1834 (archives du Calvados). Il y avait autrefois un château à Houlbec mais il n’y en a plus aucune trace aujourd’hui, pas plus que sur l’ancien cadastre.

Il devait être situé le long du ruisseau en question au fond de la petite vallée. Seule une photo aérienne, repérée il y a quelques années sur Google Maps, montre des traces de fossés qui laissent penser à une cour et une basse-cour entourées de douves, le long du ruisseau d’Houlbec, au pied du lieu-dit la Cour Grandval situé à deux pas (source Jean-Jacques Darthenay).
L’acte d’inventaire après décès de Jean-Alexandre nous apprend aussi qu’il était marié à Marie-Anne-Victoire Le Cointre de Berville dont le père était capitaine d’une compagnie de milice de la Guadeloupe. On apprend également qu’un contrat de mariage avait été passé entre les époux le 18 février 1765 à Basse-Terre à la Guadeloupe où ils se sont mariés. Décidement, les Dunot de Saint-Maclou étaient de grands voyageurs pour leur époque …
Jean-Alexandre Dunot de Saint-Maclou est lui-même né à Grand-Bourg sur l’île de Marie-Galante le 13 mars 1733 (archives de la Guadeloupe).
C’est aux archives du Calvados que nous avons retrouvé un autre acte notarié très utile pour notre recherche : l’acte d’achat de la Baronnie de Vieux-Pont dont l’acheteur n’est autre que Jean-Alexandre ! Daté du 26 mai 1770, il y est indiqué que Jean-Alexandre Dunot de Saint-Maclou demeure « en son château d’Houlbec ». Il achète la Baronnie de Vieux-Pont (et Castillon) à Messire Joseph-François de Bressac. L’acte nous donne les détails de cette acquisition. C’est le père de Joseph-François de Bressac, seigneur de Castillon et lieutenant de roi d’Honfleur, qui l’avait achetée en 1753 à Madame Aubéry de Vatan.
Le document décrit avec précision les limites de la baronnie qui se trouve essentiellement autour du bois de Vieux-Pont, avec les noms des propriétaires limitrophes. C’est la même chose pour la partie sur Castillon.
Mais alors, qui est Madame Aubéry de Vatan ? Qui était cette famille noble dont on trouve plusieurs membres importants au XVIIe et XVIIIe siècles ? Quel lien avec Vieux-Pont ? C’est une autre histoire …
Jean-Alexandre Dunot est mort à l’âge de 43 ans et n’eut pas d’enfant. C’est la raison pour laquelle, sa veuve mais aussi ses frères sont cités en tant qu’héritiers dans l’inventaire de ses biens (… et de ses dettes).
Il s’agit de Jacques-Philippe Dunot, écuyer, sieur de Grandval, demeurant ordinairement en sa terre et paroisse d’Ouézy et de Gabriel-Antoine Dunot, Chevalier de Saint Maclou, Major des villes et château de la ville de Caen2, y demeurant. Tous deux sont également nés à Marie-Galante. Les deux frères sont représentés lors de l’inventaire réalisé par un procureur au Châtelet. La veuve est également représentée car demeurant à la Guadeloupe.
L’acte d’inventaire après décès comprend un document encarté datant du 25 juillet 1766 et qui porte sur la succession du père de ces trois frères Dunot. Il y est indiqué que Jean-Alexandre achète à ses frères le château d’Houlbec aux enchères. Pourtant, il vend le 6 mars 1779 « le pont-levis, les murs d’appui, carreaux, pierres et tous matériaux propres à bâtir », ainsi qu’une partie des meubles dudit château d’Houlbec. Il vend également le 13 mai 1772 à Pierre-François Jarry3, procureur à Saint-Pierre-sur-Dives, la ferme et les terres d’Harmonville alors qu’il les avait acquises de son cousin Pierre Dunot de Berville quelques années plus tôt.
On peut penser, au vu de l’acte d’inventaire après décès de Jean-Alexandre, que celui-ci était dans une situation financière délicate et que, pour conserver sa baronnie, sans compter le train de vie parisien de notre baron, il a dû vendre une bonne partie de ses biens pour faire face.
C’est Jacques-Philippe, en tant qu’aîné, qui héritera très probablement du titre de baron de Vieux-Pont jusqu’à ce que la Révolution ne lui confisque sa baronnie. Comme celui-ci est décédé bien plus tard, c’est bien à Jean-Alexandre Dunot de Saint-Maclou qu’il faut attribuer la litre funéraire de l’église appliquée à sa mort.
Voilà donc l’enquête résolue ! Mais alors, qu’est devenu le baron (Jacques-Philippe) après la Révolution ?
Les documents de la commune consultables aux archives départementales indiquent que les villageois de la commune de Vieux-Pont-en-Auge ont brûlé les papiers de la Baronnie et se sont partagé les terres en question aux cris de « vive la république ! ». Pourtant, ils n’ont pas détruit la litre funéraire dans l’église puisqu’une partie nous est parvenue quasi-intacte, ce qui tendrait à prouver que les révolutionnaires ont surtout trouvé intéressant de s’approprier les communaux de l’ancien seigneur.
Quant au baron, Jacques-Philippe Dunot de Saint-Maclou, il semble qu’il disparaisse à cette époque comme beaucoup de nobles qui craignent pour leur vie et leurs biens.
Je perds donc sa trace … jusqu’à ce que des voisins me contactent au sujet des Dunot de Saint-Maclou dont l’un des membres vivait à Ouézy au XIXe siècle…
C’est ainsi que des membres de l’association qui s’occupe de l’église d’Ouézy sont venus à l’église de Vieux-Pont-en-Auge où nous avons échangé sur nos connaissances respectives. Ils m’ont offert à cette occasion un livre consacré à un certain Georges-Fernand Dunot de Saint-Maclou !...
On y découvre que Jacques-Philippe Dunot de Saint-Maclou, qui avait disparu à la Révolution, était le grand-père de Georges-Fernand qui porte dans le livre le surnom de « Docteur de la Grotte ». Jacques-Philippe, frère de Jean-Alexandre, fut donc le baron de Vieux-Pont au moment de la Révolution et conserva le titre jusqu’à son décès à Ouézy, le 3 octobre 1810, à l’âge de 82 ans (archives du Calvados). On apprend qu’il s’était remarié avec Marie-Marguerite-Françoise Thomas après un premier mariage avec Marie-Anne de Malherbe en 1753.
Il est très probable qu’il ait fui en Angleterre pendant ces années difficiles pour la noblesse. On sait ensuite que le couple a eu un fils, nommé Isidore et que cet Isidore Dunot de Saint-Maclou épousera Augusta Le Sueur de Colleville (née en 1792 à Londres – décédée en 1879).
Après la perte d’un premier fils à la naissance, Isidore et Augusta donnent naissance à un deuxième fils le 10 juillet 1828, nommé Georges-Fernand (archives du Calvados). Il est né à Ouézy où la famille est installée dans une grande et belle maison située rue Auguste Lemonnier.
La sœur d’Augusta, Anne Georgina Sarah Le Sueur de Colleville se marie avec Marie-Joseph de Gombault-Razac. Ils ont une fille, Marie-Sidonie, née dans le Middlesex en 1825, confirmant ainsi la thèse de la fuite en Angleterre pendant les évènements de la Révolution.
Les cousins, Georges-Fernand et Marie-Sidonie se marient civilement le 17 juin 1848 à Ouézy. Georges-Ferdinand a à peine 20 ans et Marie-Sidonie 23 ans. Une dispense du pape est nécessaire pour célébrer le mariage religieux des cousins germains qui se tient à Saint- Sylvain 2 mois plus tard, le 12 août !
Après des études agricoles, il devient médecin, activité qu’il exerce à Ouézy. Il est réputé pour soigner les personnes pauvres. Il est très engagé dans le domaine religieux. Ami d’Arcisse de Caumont, il est membre de la Société des antiquaires de Normandie entre 1859 et 1860. Il devient Maire d’Ouézy en 1865 jusqu’en 1871, année où le couple décide de quitter la Normandie pour aller s’installer à Nice afin de trouver un climat plus doux pour Marie-Sidonie dont la santé n’est pas bonne. La mère de Georges-Fernand et celle de Marie-Sidonie, tante et belle-mère de son époux, les y accompagnent.
À la mort de son père en 1869, Georges-Fernand Dunot de Saint-Maclou peut alors porter le titre honorifique de baron…
Portrait de Georges-Fernand Dunot,
coll. Archives du Sanctuaire de Lourdes.
En 1876, la santé de Marie-Sidonie se dégrade. L’année suivante, sans espoir de guérison, son état est tel qu’elle demande à se rendre à Lourdes. Elle y décède le 27 août 1877 et son corps est ramené à Nice pour y être enterré.
Fervent croyant, Georges-Fernand se retire d’abord au monastère de Saint-Pons, près de Nice, dans une communauté d’Oblats. En 1883, il revient à Lourdes. Il y travaille en tant que Directeur de la Grotte. Il s’implique au service des Hospitaliers et s’occupe, en tant que médecin, de l’examen des malades en cas de guérison.
Il emménage dès lors de façon saisonnière à Lourdes. Il comprend bien que la guérison n’est que très rarement « miraculeuse » et qu’il est essentiel d’avoir un regard scientifique sur ces cas. Il crée alors, soutenu par plusieurs médecins et religieux, le Bureau des Constations Médicales. Fin 1884, un pavillon spécifique en bois est construit près des piscines. On y reçoit les déclarations des malades. Le Bureau est reconnu par le Pape en 1886.
Le baron Dunot de Saint-Maclou poursuivra son travail jusqu’à sa mort, à Lourdes, le 10 septembre 1891 à l’âge de 63 ans. Il est enterré dans le cimetière des Chapelains. 1300 pèlerins suivent la cérémonie. Le cortège est conduit par son beau-frère, Robert-Tancrède de Hauteville et 50 Hospitaliers dont Georges-Fernand était le chef.
Sans descendance, il est donc le dernier baron de Vieux-Pont !
J’ai enfourché mon vélo en mai dernier pour un périple entre la Normandie et le Pays Basque. Comme un clin d’œil à la litre funéraire de l’église de Vieux-Pont, je m’étais décidé à faire le détour pour aller rendre visite à Georges-Fernand à Lourdes !
Après un tour dans la ville de Lourdes, remplie ce jour-là de pèlerins et de militaires, j’ai fini par trouver le cimetière en question, sur une petite colline à l’écart, dominant le Gave de Pau, à l’arrière du bâtiment des Chapelains.


J’ai dû poser mon vélo derrière un bâtiment technique pour monter à pied, bien loin de la foule, un petit chemin enherbé et découvrir là, dans une indifférence totale, un vieux cimetière, quasiment abandonné. Parmi une vingtaine de tombes, toutes marquées d’une simple croix, celle du baron Dunot de Saint-Maclou, seul laïc en ces lieux, est gravée de son nom et de la date de sa mort.
J’ai pris quelques photos avec mon téléphone et j’ai repris ma route sous un beau soleil pyrénéen en pensant au parcours que je venais d’accomplir, comme un pèlerinage personnel.
Michel SADY Avec l’aide amicale de Roselyne Fouques, Pierre Ferrand
et Guillaume de Bonchamp
Sources :
