Les graffitis de l’église de Vieux-Pont en Auge : des représentations mystérieuses à découvrir !

Les récents travaux de rénovation de l’église de Vieux-Pont en Auge ont mis au jour plusieurs éléments intéressants inconnus de la plupart des habitants de la commune et alentours, notamment de curieux graffitis que l’on peut observer tout autour de l’église mais aussi à l’intérieur où on en a trouvé de nouveaux.

Faisons donc ensemble le tour des vieux murs de l’église de Vieux-Pont afin de faire l’inventaire de ces dessins gravés énigmatiques, empreints de naïveté mais aussi d’une symbolique souvent oubliée et difficile à interpréter.

Je vous propose de commencer à l’extérieur par le mur nord de l’église, côté route. À l’angle de la sacristie en colombages et du chœur, nous trouvons 2 dessins géométriques dont l’un fait penser à un jeu de marelle ou jeu du moulin (*).

Sur une autre pierre, des alignements de trous faits avec une pointe interpellent : Sur une autre pierre, des alignements de trous faits avec une pointe interpellent :
Je pensais que cela pouvait être un mode de comptabilisation d’unités de travail du tailleur mais on m’a expliqué, il y a peu, que certaines personnes prélevaient avec une pointe de la poussière de pierre d’église, donc sacrée, pour la mettre dans des concoctions censées guérir les gens… Il y a plusieurs endroits dans l’église où on trouve ces alignements de trous tout à fait curieux. Ces alignements sont peut être dûs à cette superstition.

Un peu plus loin, à la jointure du chœur et la nef, toujours côté nord, plusieurs pierres sont gravées. On remarque des petits personnages stylisés, des écus, à nouveau des trous, des croix à empattement.
Dans le même coin, un étrange animal à 4 pattes avec une tête de serpent semble avaler sa queue pointue, tel un Ourobouros.
L’ouroboros est un dessin ou un objet représentant un serpent ou un dragon qui se mord la queue. Il s'agit d'un mot de grec ancien, οὐροϐόρος/ourobóros, latinisé sous la forme uroborus qui signifie littéralement « qui se mord la queue » (réf. Wikipédia).

Selon, les cultures, sa signification symbolique est différente. En tout cas, le dessin est aussi étrange que rare dans ce type de représentation. Mises à part les 2 pattes avant qui donnent l’impression que l’animal est en mouvement, l’essentiel de la forme a une forme de cercle. Il repose sur une espèce de socle rectangulaire et au-dessus, un triangle arqué contient une croix.

Sur le mur ouest, à droite de la porte d’entrée principale, à 1 mètre de hauteur, on découvre un autre graffiti moins bien marqué. Il semble représenter un cerf stylisé de petite taille. J’ai surligné les traces pour mieux identifier la forme. Un cercle dont le centré est marqué est également présent. On en trouve plusieurs autour de l’église. Là encore, quelques alignements de trous sont aussi visibles.
Sur le même mur mais situé à quelques mètres de hauteur, non loin de l’angle droit, au niveau de la frise qui décore cette façade ouest et lorsque le soleil l’éclaire dans l’après-midi, on peut observer un autre graffiti lui aussi très curieux qui pourrait être un cavalier avec une tête ovale et monté sur un cheval. Là encore, les traits sont partiellement effacés et il faut faire preuve d’un peu d’imagination pour reconstituer le dessin :
Le mur extérieur méridional au sud comporte peu de graffitis. J’ai juste déniché un petit serpent qui, là aussi, semble se mordre la queue. Il est situé au niveau de la descente de gouttière près de l’angle sud-ouest. Il y a également des graffitis sous la fenêtre du chœur, non loin de la tour avec des lettres que je n’ai pas réussi à déchiffrer et un dessin qui me fait penser à un arbre.

Au passage, je vous invite à lire la plaque obituaire d’un dénommé Ranoldus, qui serait « né de la race des Francs » et qui aurait "fait cette église". Cette plaque, écrite en latin et dont les lettres sont de nature carolingienne, constitue un des rares éléments qui permettrait de dater l’église de la fin du Xème siècle ou du début du XIème. C’est un des mystères de Vieux Pont…

Mais entrons dans l’église et dirigeons nous vers les deux retables situés de chaque côté de la nef à l’angle du chœur.

C’est derrière ces 2 meubles dont les tableaux représentent, à gauche la Sainte Famille et à droite Saint-Martin, que nous avons trouvé des graffitis dont les gravures étaient couvertes d’enduit.

Sur la gauche d’abord, on voit nettement une pierre gravée avec des alignements de trous nombreux comme ceux déjà vus à l’extérieur mais aussi un dessin qu’il convient de regarder à l’envers et qui me semble être un cerf :
Cette fois le dessin est plus net, tout en rondeur avec une volonté de montrer l’animal en mouvement. Il semble trotter avec sa ramure qui lui tombe sur le dos. Le dessin étant positionné à l’envers, on peut penser que la pierre a été posée ainsi en réemploi. Cette partie du mur semble en effet avoir été reprise.

Un peu en dessous, une autre pierre comporte des graffitis moins nets cette fois mais tout aussi curieux.
Il faut dessiner par-dessus les traits pour révéler la silhouette d’un animal diabolique à 4 pattes avec une tête de chèvre ou de bouc et une queue en pointe. Un autre animal se tient à côté. D’autres graffitis sont également visibles de ce côté sur une pierre presque au niveau du sol dont l’un a une tête de bovin et l’autre une tête de chien.
Toujours dans le même coin mais côté chœur, caché par la boiserie qui a été enlevée pour être restaurée, on trouve une autre pierre avec des gravures énigmatiques :
J’ai beau tourner cette gravure dans tous les sens, je ne parviens pas à en comprendre le sens. Mais certains initiés finiront bien par nous apporter un jour la solution…

Puisque nous sommes dans le chœur, profitons-en pour pousser, en face, la porte cachée dans la boiserie et qui mène dans la belle tour romane de Vieux-Pont. Cette porte étroite est en fait une des entrées initiales de l’église avec sa voûte arrondie et ses briques rouges intactes, comme si rien n’avait bougé depuis que des hommes se sont mis en tête de construire cette église là où elle est toujours, 1000 ans plus tard.
Dans l’épaisseur du mur, une petite pierre rectangulaire est marquée d’une jolie croix et une autre, juste en-dessous, est remplie de ces trous dont je parlais précédemment, témoignage de vieilles croyances.

Mais retournons dans la nef, cette fois derrière l’autre retable, celui avec une peinture de Saint-Martin. Nous y avons découvert d’autres gravures. La plus spectaculaire est encore un cerf, cette fois très stylisé, un peu comme celui du mur extérieur ouest. C’est ici le troisième graffiti consacré à cet animal.

Pierre Moinot (*), en préface à une anthologie du cerf, résume les raisons qui font de cet animal un symbole :
"Voici donc l'animal porteur d'une forêt de symboles, tous apparentés au domaine obscur de la force vitale. Et d'abord ses bois, par lesquels la nature fait signe : ces deux perches hérissées d'andouillers, façonnées de perlures, rainures, empaumures aux épois aigus, cette ramure dont le nom, la forme et la couleur semblent sortir des arbres et que chaque année élague comme un bois sec, chaque année les refait pour donner la preuve visible que tout renaît, que tout reprend vie ; par la chute et la repousse de ces os branchus qui croissent avec une rapidité végétale, la nature affirme que sa force intense n'est qu'une perpétuelle résurrection, que tout doit mourir en elle et que pourtant rien ne peut cesser".

Nul doute que ceux qui ont dessiné ainsi ce bel animal lui attribuaient des facultés symboliques fortes.

Cette même pierre comporte également plusieurs figures, dont 2 font penser à des nœuds de Salomon. Selon le site CenterBlog consacré aux graffitis anciens, « les nœuds dits de "Salomon" aussi appelés "nœuds gordiens" ne sont pas les moins mystérieux. La symbolique qui s'y rattache l'est moins : l'éternité car ces nœuds n'ont pas de début ni de fin, le lien indéfectible avec Dieu, un être aimé. Les représentations de ces "nœuds" remontent loin dans l'antiquité, grecque, égyptienne, nous les retrouvons dans les clavicules du Roi Salomon. Nous retrouvons ces représentations dans les sculptures du Moyen Âge mais aussi sous forme de "graffitis" au cours des XVII et XVIIIe siècles. La transmission orale a bien fonctionné puisque nous pouvons les observer sur les murs parfois éloignés de nos églises rurales ».

Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. Plus bas sur une pierre taillée du même coin, dans le sens de la hauteur, on découvre en cherchant bien une forme de visage de profil avec son nez et son œil. La première fois, j’ai cru qu’il s’agissait d’un visage de femme avec de longs cheveux tombant sur les épaules. Il a fallu que je dessine par-dessus les gravures les traits pour découvrir que la tête en question est plutôt celle d’un personnage recouverte d’un camail (cagoule de mailles) comme l’était parfois celles des chevaliers du Moyen Âge.
J’ai trouvé ce graffiti particulièrement émouvant car il figure cette fois un personnage sorti tout droit du Moyen Âge et il donne une petite idée de l’âge de ce graffiti à moins que ce ne soit un enfant de chœur qui, s’ennuyant pendant le sermon du curé, s’est amusé à représenter sur une pierre un Ivanhoé imaginaire après avoir lu le roman de Walter Scott…

Ce qui est bien avec les graffitis, c’est qu’on n’est sûr de rien : ni de l’âge de l’œuvre, ni de l’auteur, ni même de ce que celui-ci a voulu exprimer...

Michel SADY – mars 2020
(*) Pierre Moinot : écrivain, haut fonctionnaire, membre de l’Académie Française