La pierre tombale de Jacques Le Breton

Un ancien monument funéraire est exposé dans le cimetière de l’église de Vieux-Pont-en-Auge. Au pied de la croix, à l’entrée du cimetière, cette pierre interpelle par l’ensemble des textes inscrits sur les côtés latéraux.

Nous avons retranscrit tels quels les différents éléments de textes gravés sur la pierre à la fin de cet article mais le monument invite à s’intéresser à ce personnage dont le nom, Jacques Le Breton, est inscrit dans un des textes qui figurent sur la pierre.

Un monument funéraire du XVIIIe siècle simple mais de grande qualité

La qualité de la pierre a été choisie pour qu’elle résiste aux temps : celui qui passe et celui qui souffle.

Le tombeau a été taillé d’une seule pièce à partir d’une pierre calcaire cubique. Ses dimensions sont :

  • Longueur dessus : 1,97m
  • Largeur dessus : 0,63m
  • Hauteur : 0,57m
  • Longueur à la base : 1,64m
  • Largeur à la base : 0,33m

Une simple et grande croix latine est sculptée sur la face supérieure, sans aucune fioriture, signe d’humilité. Elle occupe quasiment toute la surface du monument sur une épaisseur de 18 cm, un peu comme le couvercle d’un sarcophage. La largeur des deux bras de la croix est de 20 cm. En dessous, la forme est finement galbée sur les 4 faces donnant à l’ensemble une allure de tombeau de la taille d’un homme.

Ce monument devait probablement être posé sur la tombe du personnage enterré, peut-être de telle sorte qu’on puisse lire les textes gravés sur les côtés latéraux sous la croix.

Sur chaque face latérale, 3 ensembles de textes sont gravés, soit 6 au total : un texte sur la longueur en partie centrale avec 2 textes plus concis à chaque extrémité qui, en fait se complètent. Les textes sont encadrés par un simple liseré sculpté dans la pierre. Il s’agit, en fait, d’incantations du mort pour que l’on prie pour le repos de son âme et de réflexions philosophico-religieuses qui pourraient, de nos jours, prêter certains à sourire. Il faut cependant remettre ces mots dans leur contexte car ils expriment bien la peur de la grande majorité des individus à cette époque de ne pas accéder au paradis et de finir, au mieux, au purgatoire…

La pierre tombale de Jacques Le Breton

Le mort devait être suffisamment riche pour pouvoir faire réaliser un tel tombeau. On n’imagine pas un simple « manouvrier » de l’époque avoir la capacité financière de commander ce monument après sa mort. Il n’aurait pas non plus été capable de dicter de tels textes pour qu’on les inscrive sur son tombeau. Il suffit de regarder les signatures et les croix sur les registres des baptêmes et des décès de l’époque, pour comprendre que peu de personnes savaient alors lire et écrire.

Il est probable que notre personnage était lettré et avait, avant son décès, indiqué lui-même, les textes qu’il souhaitait voir écrits.

Le texte central, côté latéral gauche de la croix (à droite quand on se met au pied du monument), indique clairement qui est ce personnage.

Il s’agit de Jacques LE BRETON. On lit qu’il est né le 16 mars 1678 et décédé le 22 avril 1764.

La date de naissance est précise ce qui permet de penser que Jacques Le Breton la connaissait ce qui n’était pas le cas pour toutes les personnes d’alors.

Cet homme avait 86 ans passés lorsqu’il est décédé. Il était donc, pour l’époque, particulièrement âgé. Quand on observe dans les archives d’époque l’âge des personnes à leur décès, il est rare d’en trouver mortes à un âge aussi avancé.

Que sait-on de Jacques Le Breton ?

En dehors de ce qui est écrit sur la pierre tombale et des suppositions qu’on peut en tirer, les textes sur la pierre ne disent rien sur sa vie.

On comprend simplement qu’il n’est pas certain d’aller au paradis, au purgatoire ou en enfer et que, dans le doute, il est utile de prier pour lui. Il invite donc les passants à prier pour son âme : s’il rejoint le clan des « BENIS », il priera pour eux et, s’il ne l’est pas, cela servira aux âmes du purgatoire ! Bref, il a le sens de la négociation et de l’argumentation !

Heureusement, la date de sa mort permet de retrouver facilement le texte que le curé de Vieux-Pont a inscrit à cette date sur le registre des baptêmes, mariages et décès de la paroisse :

L’écriture liée est plus complexe à déchiffrer que les lettres d’imprimerie de la pierre tombale :

« L’an 1764 le lundy vingt troisième jour d’avril Jacques Lebrethon sieur de la Brethonnière décédé d’hier (en interligne : âgé de quatre vingt six ans environ), muni de tous les sacrements de l’église, a été inhumé dans le cimetière de ce lieu par monsieur le curé de Bretteville, présence de messieurs curés et vicaire de cette paroisse qui ont avec lui signé, l’interligne approuvée - Delafosse curé de Bretteville - Lanoé vicaire - S Ruquier - Dufour curé de Vieuxpont »

Nous apprenons donc que l’homme est décédé un lundi (on notera qu’à l’époque le « i » et le « y » s’employaient confusément). Jacques Le Breton est qualifié de « sieur » ce qui confirme son statut de personnage important du village. Dans l’ancien régime, le mot Sieur devant le nom était un titre honorifique donné à un bourgeois, marchand aisé, ou rentier, sans avoir spécialement une origine noble. Sieur de... signifiait que l'on était seigneur (propriétaire) d'un lieu (dictionnaire).

Cela confirme bien que Jacques Le Breton était quelqu’un de considéré dans la paroisse de Vieux-Pont.

Je n’ai pas retrouvé l’acte de baptême de Jacques Le Breton sur les registres de la paroisse bien que nous connaissions sa date de naissance précise et que les archives départementales disposent des registres de Vieux-Pont à partir de 1688, donc antérieurs à la date de naissance de J. Le Breton. On notera que plusieurs actes postérieurs au décès de J. Le Breton comportent ce même nom. Nous ne savons pas s’il s’agit de frères, sœurs, enfants ou oncles et tantes. Certains habitent sur la paroisse de Castillon toute proche. Peut-être faut-il chercher dans les archives de Vieux-Pont et des communes alentour pour en apprendre plus ?

La « Brethonnière » et le lieu au Breton ?

Jacques Le Breton est « sieur de la Brethonnière ».

L’un des lieux-dits de Vieux-Pont-en-Auge s’appelle aujourd’hui encore « le lieu au Breton » ce qui fait immanquablement penser à la « Brethonnière ». L’endroit est situé sur une jolie colline dominant la rive droite de la vallée de la Viette. Il est bordé, côté nord par le Chemin du Vigneron et est desservi par l’ancien chemin allant de Vieux-Pont au Pont du Chêne entre Coupesarte et Lessard-et-le-Chêne. C’est aujourd’hui le siège du Haras de Vieux-Pont-en-Auge.

Sur le cadastre de 1835, les bâtiments sont composés d’une maison, d’un pressoir, d’une étable, d’une écurie et d’une boulangerie. Le pressoir y apparaît au moins 2 fois plus grand que la maison elle-même. La propriété appartient alors à Ferdinand Sevestre à Saint-Julien-le-Faucon. C’était, jusque dans les années 80, une ferme laitière exploitée par la famille Lorin.

Le lieu au Breton sur le cadastre de 1835

On peut penser que Jacques Le Breton, ou ses ancêtres, ont donné au lieu son nom qui, peut-être, indique des racines bretonnes. Mais là, il ne s’agit que de supputations …

En tout cas, Jacques Le Breton avait au moment de sa mort, auprès de lui, plusieurs ecclésiastiques, témoins de sa peur de l’au-delà teintée peut-être d’un humour noir qu’il a voulu inscrire sur son tombeau et dont nous pouvons aujourd’hui encore témoigner.

Et les curés ?

L’acte de décès nous apprend que c’est le curé de Bretteville (sur Dives), appelé Delafosse, qui a donné les derniers sacrements à J. Le Breton.

Pourquoi le curé de Bretteville était-il présent ? On l’ignore même si la paroisse de Bretteville est voisine de celle de Vieux-Pont. Peut-être était-il le confesseur du mourant ? Les 2 curés et vicaire de Vieux-Pont étaient également présents, du moins c’est ce qui est écrit. Si c’est bien le cas, ils n’étaient pas moins de 3 curés et un vicaire pour assister le mourant dans ses derniers moments. Cela confirme sans doute l’importance de l’homme dans la paroisse.

Il est aussi possible que, voyant la mort proche, la famille de Jacques Le Breton ait appelé le curé de Bretteville qui, peut-être, le connaissait bien.

Concernant le curé de Vieux-Pont, ils étaient en fait 2 et disposaient alors d’un vicaire ! Vieux-Pont était en effet partagé en deux « portions » depuis que la comtesse Lesceline, grand tante de Guillaume le Conquérant, avait placé cette paroisse sous l’égide de ses 2 abbayes de Saint-Pierre et de Saint-Désir.

A la date de la mort de Jacques Le Breton, le curé de la 1ère portion qui dépendait de l’abbesse de Saint-Désir, était Charles Dufour.

On relève dans un inventaire des actes ecclésiastiques du diocèse de Lisieux, réalisé par l’Abbé Piel (*), que Charles Dufour est nommé curé de la première portion de Vieux-Pont le 3 mai 1761 en présence de Simon Riquier, curé de la 2ème portion. Il est donc probable que ces deux prêtres étaient bien été présents lors du décès de Jacques Le Breton. On notera dans un article de 1783 cité dans l’inventaire de l’Abbé Piel que ce même Charles Dufour était alors devenu également doyen de Mesnil-Mauger.

(*) Inventaire historique des actes transcrits aux insinuations ecclésiastiques de l'ancien Diocèse de Lisieux ou Documents officiels analysés pour servir à l'histoire du personnel de l'évêché, de la cathédrale, des collégiales, des abbayes et prieurés, des paroisses et chapelles, ainsi que de toutes les familles notables de ce diocèse : 1692-1790 Par Léopold Ferdinand Désiré Piel (1834-1900) Doyen et Curé du Mesnil-Mauger, membre de la Société Historique de Lisieux. Réf. XXVIII – 94 et XXXIX – 154

Michel Sady – Mai 2021

Reproduction des textes gravés sur la pierre tombale de Jacques Le Breton